Le coup de bluff du bonheur au travail
Avec la vague des entreprises libérées et le concept du bonheur au travail, de nombreuses entreprises ont initié des changements dans leur organisation : certaines ont installé des tables de ping-pong dans des espaces détente, d’autres ont aménagé une salle de sieste flash ou de méditation, d’autres encore organisent des séances de massage ou de yoga pendant la pause déjeuner.
Si ces aménagements ont pour objectif d’apporter des moments de repos, le résultat peut être facilement atteint : les espaces de détente sont toujours les bienvenus ! Mais si l’ambition est de réduire la souffrance en milieu professionnel, les désillusions des employeurs peuvent être grandes.
Qu’est-ce qui cloche ?
Tout ce qui est du registre des services à la personne fait partie de l’environnment des salariés. Or, nous l’avons vu, la souffrance au travail est généralement liée à une perte de sens, de reconnaissance, ou à un écart trop grand entre les moyens à disposition et les résultats attendus. Il y a donc un décalage entre les réponses apportées pour améliorer la qualité de vie au travail et les attentes des personnels. C’est la raison pour laquelle beaucoup d’entreprises qui démultiplient les services à la personne constatent quand même un mécontentement récurrent chez leurs collaborateurs. Elles obtiennent des collaborateurs fidèles, car attachés au confort de leur entreprise… Mais pas plus investis. Ce qui amènera les employeurs à qualifier ces collaborateurs « d’éternels insatisfaits qui en réclament toujours plus et n’apprécient pas tous les avantages qu’on leur offre ». C’est un vrai dialogue de sourds.
Pour atteindre une réelle qualité de vie au travail, le changement doit s’effectuer à différents niveaux et doit trouver une forme cohérente d’expression dans toute l’entreprise.
1. En commençant par une définition précise de l’identité et de la mission d’une organisation : cette dernière doit pouvoir dire en quelques mots quels sont son sens et sa finalité en termes de contributions sociétales.
2. Les niveaux des croyances et des valeurs qui vont décliner cette finalité doivent être explicites, car leur rôle est de satisfaire des leviers de motivation individuels (besoin de reconnaissance, de respect, de bienveillance par exemple) et un fort sentiment d’appartenance, qui vont générer à leur tour des émotions agréables à vivre.
3. Les stratégies et les comportements mis en œuvre en interne, comme à l’externe auprès des partenaires et des clients, seront cohérents avec la finalité de l’entreprise et fidèles à ses valeurs.
4. En dernier lieu, l’environnement offrira un cadre de travail propice à la créativité, à la détente ou à la convivialité et pourra proposer une offre de services pour améliorer le quotidien et fidéliser les collaborateurs.
Quand les personnes se demandent si leur job sert à quelque chose, quelques heures de massage et même des tickets restaurants seront certes appréciables, mais ne régleront en rien la question de la motivation. Les mesures prises uniquement dans l’environnement ne font que masquer une vraie souffrance qui n’est toujours pas résolue.
Le bonheur oui, mais pas n’importe comment !
Pour conclure, la métaphore de la cathédrale
« Trois ouvriers travaillent sur un chantier. Un inconnu passe devant eux et demande aux trois hommes : que faites-vous ? Le premier répond : “Je casse des pierres” ; le second : “Je monte un mur”, le troisième : “Je construis une cathédrale.” »
Toutes les entreprises ont leur cathédrale… Ou devraient l’avoir. Mais en parlent-elles vraiment ? Beaucoup de managers sont à l’aise pour répondre à des questions techniques, mais sont pris de court pour parler de sens et de finalité. C’est pourtant leur rôle de savoir valoriser ce que nous réalisons ensemble, de savoir identifier la valeur ajoutée de cette production pour la société, de promouvoir la qualité du service ou le progrès social ou technologique auquel chacun contribue… Cette finalité génère un sentiment de satisfaction et fait passer au second plan le fait que tout n’est pas rose dans une entreprise, qu’il est parfois fatigant et inintéressant par moments de casser des pierres. Tout en ayant conscience que l’essentiel est ailleurs.
LA RAISON LA PLUS MOTIVANTE DE TRAVAILLER SE TROUVE DANS LE PLAISIR QUE L’ON Y TROUVE, DANS LE PLAISIR DU RÉSULTAT ATTEINT, ET DANS LA CONNAISSANCE DE LA VALEUR DE CE RÉSULTAT POUR LA COMMUNAUTÉ. Albert Einstein
Christine Donati, 2019. Extraits du Livre “Management à bout de souffle: Favoriser l’intelligence des collectifs avec une nouvelle éthique managériale”