Le cycle infernal du stress au travail
1. La fuite
Face à un danger, une menace, une forte pression, notre cerveau nous intime de fuir. Il lance l’alerte dans notre organisme, qui se met en condi- tion pour courir le plus vite possible : le rythme cardiaque et la respiration s’accélèrent, ce qui favorise l’oxygénation des tissus. Les muscles sont mieux irrigués par le sang, ce qui amplifie le tonus des jambes et élargit le champ de vision pour mieux repérer les issues possibles. Je suis prêt à détaler à toute vitesse !
Application en entreprise
La fuite s’exprime en se soumettant à des styles de management coer- citifs, en acceptant des rythmes de travail trop tendus ou en subissant des contraintes de résultats trop fortes. comme un salarié ne peut pas physiquement prendre les jambes à son cou, il adopte une posture de soumission en faisant allégeance au système en vigueur. Son corps reste présent, mais son esprit est ailleurs : il a purement et simplement pris la fuite. Toutes les formes d’addiction sont des phénomènes de fuite : la drogue, l’alcool, le jeu en ligne. certains se réfugient dans des centres d’intérêt autres que le travail. L’accès aux réseaux sociaux, tou- jours à portée de clics, peut être un nouveau biais addictif.
1. La lutte
Tout compte fait, je ne vais pas m’enfuir ! Pas le temps, pas d’issue, pas possible, ou je crois que je peux me mesurer à l’autre. Un autre signal s’enclenche : celui du combat. Le cerveau entre dans une phase de confu- sion qui ne lui permet pas d’analyser correctement la situation, mais il est suffisamment en contact avec un sentiment de colère et de riposte pour se sentir « gonflé à bloc ». Le corps se prépare au combat : ralentissement du cœur et de la respiration, la tension se déplace vers les mâchoires et le cou pour mordre, vers les bras pour frapper, l’adrénaline charge le corps de colère, le regard se focalise sur la cible pour bien faire connaître son intention.Application en entreprise La lutte s’exprime en jouant des coudes avec des collègues, en mani- festant toute l’agressivité dont on est capable, en criant, invectivant, menaçant. La lutte est bizarrement devenue une attitude couramment admise en milieu professionnel, où il n’est pas si mal vu que ça de donner de la voix au sein des équipes, de hausser le ton plus que de raison, de vouloir dominer l’autre en lui sommant d’obéir, en l’agressant verbalement, et parfois même physiquement. L’entreprise peut devenir un lieu de compétition exacerbée entre individus, entre équipes ou ser- vices. Avec des effets préjudiciables pour tous : l’énergie déployée pour de tels combats est tout simplement inutile et inappropriée.
1. L’inhibition
Le mécanisme d’inhibition est une sorte de paralysie observable quand on conduit la nuit sur une route déserte et qu’un lapin se fait surprendre dans les phares d’un véhicule. Alors qu’il pourrait détaler à toute vitesse pour se tirer d’affaire, son niveau de stress est tel qu’il reste paralysé. Cet instinct lui a autrefois sauvé la vie : sa respiration ralentit au maximum, ses capillaires se compriment pour économiser chaleur et énergie, son corps refroidit et s’immobilise. Il fait le mort dans l’attente que le pré- dateur passe son chemin sans le repérer, puisque le corps rendu inerte peut passer pour mort. Le lapin n’a pas appris à modifier ce mécanisme de défense face à une voiture, qui ne réagit pas à la chaleur du corps. Dommage, la stratégie de l’inhibition lui fait perdre la vie à tous les coups !
Application en entreprise
L’inhibition s’exprime par un fort sentiment d’impuissance, de découragement, de démotivation profonde. Nous l’observons quand les collaborateurs sont extrêmement fatigués, déprimés, voire en plein burn-out ! À forte dose, cet état entraîne un système d’inhibition de l’action endocrino-sympathique qui, s’il reste durablement actif, donne naissance à de multiples pathologies.
Ces trois mécanismes de stress qui ont été notre solution pour survivre en milieu hostile sont devenus problématiques en milieu professionnel. Nous sommes restés enfermés dans des mécanismes de défense archaïques automatiques proches des réactions animales, totalement ina- daptés aux besoins du monde moderne.
Et comme, de surcroît, notre organisme ne fait pas la différence entre un stress externe (pression de l’environnement) et un stress interne (comme l’anxiété et le surmenage que je génère), notre cerveau cumule les deux, ce qui élève le niveau de stress et le prolonge. Ainsi soumises à rude épreuve, les capacités d’adaptation de notre organisme s’épuisent et entraînent diverses pathologies.
Il serait grand temps que l’être humain apprenne à mobiliser d’autres zones de son cerveau pour appréhender autrement la réalité qui l’en- toure. En apprenant d’abord à distinguer les pressions externes issues de son environnement et les pressions internes liées à ses cogitations et ruminations. Puis en s’imposant de prendre du recul sur nos pensées impulsives et nos automatismes. Voici quelques conseils :
- S’isoler du contexte anxiogène pour prendre du recul.
- Observer la situation et s’observer dans cette situation pour examiner les interactions et sa part de responsabilité dans la situation.
- Se souvenir de tous les apprentissages positifs accumulés au cours de son existence pour en ressentir les bienfaits émotionnels.
- Faire la part des choses et s’obliger à voir ce qui va bien, et pas uniquement ce qui ne va pas.
- Exercer son libre arbitre: «Que dois-je décider et faire pour retrouver mon bien-être émotionnel ? »
Pour s’installer durablement dans le cerveau, ce mécanisme a juste besoin d’être répété encore et encore pour sortir de l’autoroute tracée par les comportements archaïques. En moins de temps qu’on l’imagine, nous renouons avec notre libre arbitre, lequel nous aidera à voir la situation autrement, et donc à nous comporter autrement. À défaut, comme le lapin dans les phares, soumis et victime de son cerveau ancestral, l’être humain risque fort d’y laisser sa vie.
Christine Donati, 2019. Extraits du Livre “Management à bout de souffle: Favoriser l’intelligence des collectifs avec une nouvelle éthique managériale”