Les jeunes de la génération Z sont boudés par les employeurs

22 Jan 2025 | Gen Z, Gen Z, bad buz, La passerelle entre l’université et le monde du travail, Recrutement

Jugés trop exigeants sur leurs conditions de travail et peu investis dans la vie de l’entreprise, les salariés nés après 1997 sont de plus en plus confrontés à la réticence des recruteurs, même si certains louent leur rapport inédit au travail.

Paresseux, désinvestis, volages… Les préjugés autour des jeunes salariés de la génération Z (âgés de 18 à 27 ans) sont nombreux et amènent de plus en plus d’entreprises à limiter leur embauche. C’est ce que révèlent plusieurs enquêtes récentes. «Il y a une forme de désarroi des dirigeants», analyse ainsi Brice Teinturier, directeur général d’Ipsos, à l’occasion de la présentation des résultats d’une étude menée en mai 2024 sur des chefs d’entreprise. 86% des patrons interrogés perçoivent la gen Z comme vraiment différente de la génération précédente, et 49% jugent difficile de faire évoluer ces jeunes dans le monde de l’entreprise.

Pourtant, la nécessité de composer avec ces vingtenaires est primordiale: ils représenteront un tiers des actifs dans le monde en 2030. Le renouvellement générationnel est d’ailleurs déjà en cours dans plusieurs entreprises. «Chez E.Leclerc, on estime que les moins de 25 ans représentent entre 20 et 25% de nos effectifs, confirme Nathalie Bordais, propriétaire du Leclerc de Concarneau depuis 2011 et chargée des sujets RH de l’enseigne. Ils représentent une part importante de nos recrutements.»

Des critères éliminatoires

Selon les managers, ces nouveaux effectifs diffèrent de leurs aînés. «Je trouve que leur attachement à l’entreprise est moins marqué, ils n’hésitent pas à partir ou demandent à changer de poste rapidement si ça ne leur convient pas, on a parfois des départs après seulement quelques jours, note la gérante du magasin. J’ai l’impression que cette génération affiche une grande ambition, avec des attentes élevées en termes d’évolution rapide.»

Ce constat se retrouve dans les enquêtes menées auprès des recruteurs. Selon l’étude d’Ipsos réalisée pour l’école d’ingénieur CESI auprès de 405 dirigeants d’entreprise, les employeurs jugent les salariés de la gen Z moins investis au travail, moins fidèles à l’entreprise et moins respectueux de la hiérarchie. L’étude «Générations Z» d’OpinionWay pour l’Observatoire prospectif du commerce, datant de 2023, souligne quant à elle que 42% des managers interrogés trouvent difficile de gérer ces employés au quotidien et 22% pointent une remise en cause des règles ainsi qu’un manque de respect et de professionnalisme.

Des critères éliminatoires pour de nombreux patrons, qui hésitent désormais à embaucher ces zoomers. «Aujourd’hui, je m’interroge un peu plus entre un profil senior et un profil junior», confie Armelle Solelhac, PDG du cabinet d’études en stratégie SWiTCH spécialisé dans les secteurs du tourisme et des sports d’extérieur. Depuis la création de son entreprise il y a dix-sept ans, la dirigeante a employé de nombreux jeunes, représentant à certaines périodes 100% de son effectif. Avec des difficultés multiples.

« D’abord, je vois une vraie différence de concentration, note l’entrepreneuse. Je peux demander à des salariés plus âgés de faire des réunions longues mais c’est impossible pour des gen Z. Je ressens aussi que nous ne sommes pas au même niveau d’engagement. S’il y a un pic d’activité temporaire dans l’entreprise, ils ne sont pas prêts à faire les efforts. »

Surtout, ces profils volages ont tendance à avoir envie d’ailleurs rapidement. «Ça pose un problème organisationnel et un problème de coût, précise Armelle Solelhac. Si je forme quelqu’un pendant dix-huit mois et qu’il part ensuite, je ne rentre pas dans mes frais, d’où mes interrogations à l’embauche.» La directrice, qui emploie actuellement deux salariés de moins de 30 ans sur les dix personnes de l’équipe, juge pourtant que les conditions de travail de son agence sont avantageuses.

La grande démission? 

Les jeunes salariés de la gen Z oscillent quant à eux entre une dénonciation de ces stéréotypes et une revendication de leur nouveau rapport au travail. «Je ne vais pas mentir, quand ce sont des contrats précaires où l’on te paye une misère et que tu n’as droit à aucun avantage, je pars au moindre mot de travers», assume Thomas, 26 ans, qui enchaîne les petits boulots dans la restauration ou en tant qu’intérimaire.

Plusieurs fois, il a démissionné à cause des conditions de travail imposées. Il s’est fait licencier, aussi, du fait de ses retards répétés. «C’est vrai que j’arrive très souvent en retard au travail, reconnaît-il. Après, je considère que si j’avais un job qui me plaisait et mieux payé, je serais prêt à m’investir et à être ponctuel.»

Il est rejoint par Pauline, 25 ans, intermittente du spectacle dans le cinéma d’animation. «Beaucoup de jeunes ne veulent juste pas d’un travail aliénant, répétitif et avec de mauvaises conditions. Je pense au contraire que quand il s’agit de faire les choses qu’on aime, on a une énergie et une force d’action! Nous remettons juste en question les codes et les contraintes de l’ancien monde.»

Elodie Gentina, enseignante-chercheuse en management à l’IESEG et spécialiste du rapport de la génération Z à l’entreprise, dénonce elle aussi les préjugés. «Quand on regarde les études, il y a beaucoup de stéréotypes car les jeunes sont engagés dans le travail quand ils ont envie de s’investir», rappelle l’autrice de Manager la génération Z (2023, Dunod).

«Nous ne sommes pas particulièrement peu motivés ou fainéants, bien au contraire, estime Amélie, 23 ans, kinésithérapeute en CDI dans un centre de rééducation en banlieue parisienne. J’aime faire mon travail, le mieux possible, donner mon maximum, même si je veux aussi du temps pour ma vie personnelle.»

Un nouveau rapport au travail 

Si la rémunération demeure encore un point de crispation central entre ces jeunes et leurs employeurs, le temps de travail occupe en effet une place grandissante dans leurs revendications. Horaires adaptables, télétravail, semaine de quatre jours ou volonté de ne pas travailler le week-end… La vie privée représente désormais un enjeu crucial. «Cette génération est différente des autres parce que le travail n’est plus au centre de leur vie, affirme Elodie Gentina. Aujourd’hui, la jeunesse redonne une place à d’autres activités et moments importants: leur vie sociale, leur santé mentale, leurs centres d’intérêt, etc.»

Un ressenti partagé par les chefs d’entreprise sondés par Ipsos, qui pensent à 77% que la gen Z est moins prête que ses aînés à faire des heures supplémentaires. Du côté des managers du commerce interrogés dans l’étude «Générations Z», ils sont 64% à trouver que cette classe d’âge a plus d’attentes sur son équilibre vie professionnelle/vie personnelle, générant ainsi des difficultés de recrutement.

«Avant, on avait un sentiment de devoir et de loyauté envers l’entreprise parce qu’elle fournissait un statut à vie, désormais c’est donnant-donnant.» Elodie Gentina, enseignante-chercheuse en management à l’IESEG

«Si on veut garder les gens chez nous, il faut qu’ils s’y retrouvent sur leur vie privée, constate le manager d’une PME. Aujourd’hui, on est dans une politique où la vie privée, c’est 60%, et le travail 40%.» Les grandes entreprises n’y échappent pas non plus. «On est passé en mode survie sur nos équipes: il faut s’assurer de leur bien-être et qu’elles aient un train de vie suffisant, observe le responsable d’une boîte de plus de 500 salariés dans le secteur de l’agroalimentaire. La carrière passe après tout le reste.»

Le CDI n’incarne ainsi plus le graal des générations précédentes, mais pour beaucoup une contrainte aux projets personnels. «Je ne veux pas de CDI parce que je ne souhaite pas m’engager dans une carrière professionnelle sur le long terme, je préfère mener mes projets perso», confirme Thomas, qui inverse les rapports de force avec ses employeurs. Lorsqu’il signe ses contrats, il s’attelle désormais à être vigilant sur ses conditions de travail et à refuser le temps plein. «On entend que les jeunes ne sont plus prêts à sacrifier leur vie pour le travail, mais c’est évident», ajoute le jeune homme. «Je vois beaucoup ce type de profils, des jeunes dont le travail est une partie de leur vie mais pas la totalité, témoigne Armelle Solelhac. Ils veulent absolument que ce soit 9h-17h et pas une minute de plus, rechignent à travailler le week-end… J’essaie d’être flexible sur le télétravail ou peu regardante sur les horaires.»

D’après Elodie Gentina, le rapport au travail passe désormais plus par l’affect. «Les jeunes restent dans un boulot quand il y a une notion de plaisir et que l’entreprise devient un lieu de vie, souligne la spécialiste. Avant, on avait un sentiment de devoir et de loyauté envers l’entreprise parce qu’elle fournissait un statut à vie, désormais c’est donnant-donnant: les gen Z posent leurs conditions.»

Une remise en question du temps de travail mais aussi du sens de l’activité professionnelle. L’étude d’Ipsos relève que les moins de 27 ans recherchent des valeurs communes avec leur entreprise et désirent être utiles à la société à travers leur travail. «On a besoin de comprendre pourquoi on fait les choses et de sentir que le travail nous apporte individuellement et relationnellement parlant», résume Pauline.

Une génération à valoriser

Ces caractéristiques régulièrement pointées du doigt par les employeurs sont paradoxalement de plus en plus valorisées au sein des entreprises. «Leur besoin de sens dans leur travail est fort et cela trouve un écho dans les engagements que nous portons, en termes de pouvoir d’achat, de mixité ou de produits locaux, insiste Nathalie Bordais de chez Leclerc. En outre, les nouvelles générations nous poussent à améliorer sans cesse nos pratiques, par exemple sur l’organisation du temps de travail: les idées viennent souvent d’eux.»

Armelle Solelhac remarque elle aussi une plus-value chez cette génération Z. «Ils challengent beaucoup le statu quo, ce qui peut être déroutant mais aussi enrichissant, surtout dans le métier du conseil en stratégie, constate la PDG de SWiTCH. En tant que manager, il faut savoir se nourrir des opportunités qu’ils amènent, de leur fraîcheur, de leur défiance permanente.» Si la dirigeante a d’abord eu du mal à s’adapter, elle organise dorénavant autrement le travail afin d’intégrer ces nouveaux salariés et d’exploiter leurs forces.

Les managers interrogés dans les études menées partagent d’ailleurs cette vision des choses. Beaucoup reconnaissent en effet leurs compétences sur des sujets spécifiques, comme la maîtrise des outils numériques et de l’intelligence artificielle, et les jugent innovants. «Je veille à avoir un équilibre avec des seniors et des plus jeunes, c’est dans la diversité des profils qu’on obtient les meilleurs résultats», conclut Armelle Solelhac, dont l’effectif s’étend de 24 à 44 ans. «Les jeunes peuvent apprendre des plus anciens et réciproquement, abonde Nathalie Bordais. Cette cohabitation entre générations crée un environnement de travail dynamique et stimulant pour tous. Et puis on a une diversité parmi nos clients, c’est normal de la retrouver parmi nos équipes.»

Elodie Gentina, qui intervient régulièrement auprès d’entreprises pour les accompagner dans leur gestion de la gen Z, constate que les recruteurs s’ouvrent de plus en plus. «Si certains ont peur de miser sur eux, la majorité a envie de comprendre, ils savent qu’ils ne peuvent pas rester sur leurs préjugés et qu’ils doivent s’adapter», relève la chercheuse. Selon elle, tous les défauts prêtés à cette génération de salariés peuvent être déconstruits et vus différemment. «Ils sont dans le digital mais c’est l’une des générations qui réclament le plus de présentiel. Ils remettent en cause l’autorité hiérarchique mais ont besoin d’un manager coach et d’énormément de retours. Ils sont volages mais voyagent, voient le monde et apportent donc de nouvelles expériences.»

«Nous devons nous adapter en permanence»

Charge aux patrons, donc, de s’adapter à ces nouveaux travailleurs. 36% des managers interrogés dans l’étude d’OpinionWay reconnaissent ainsi que le principal défi d’avenir est d’apprendre à manager les jeunes générations. Assouplir le cadre de travail ou intégrer les soft skills (les «compétences comportementales») sont autant d’axes que les DRH mettent en avant pour le futur. «Si l’on veut les attirer, il faut du plaisir et du bien-être, admet un manager interrogé. Il faudra s’habituer à leurs retards sans leur dire grand chose. Il faut changer notre management, sinon on ne peut pas les recruter.»

Elodie Gentina recommande de nouvelles pratiques, simples à mettre en place malgré les politiques RH différentes d’une entreprise à l’autre. «On peut innover dans les processus de recrutement, en présentant les locaux et l’équipe aux jeunes salariés, suggère par exemple la spécialiste. On peut aussi revoir le mode managérial, en préférant l’autorité relationnelle à une autorité de fait. Et mettre de la flexibilité dans les horaires.»

Selon elle, même la grande distribution souvent très hiérarchique et pyramidale, avec un effectif majoritaire de seniors, commence à avancer malgré sa frilosité. «Nous devons nous adapter en permanence, acquiesce Nathalie Bordais. Par exemple, dans mon magasin Leclerc de Concarneau, nous expérimentons des horaires de travail différents, nous favorisons le recrutement en “job dating” pour un premier contact rapide et direct ou nous revoyons en profondeur nos méthodes d’intégration.»

Si le chemin est encore long, les entreprises n’ont pas d’autre choix que de s’adapter, rien que pour compenser le départ à la retraite de leurs salariés les plus âgés. Bouder les jeunes de la génération Z semble ainsi ne pas être une solution d’avenir.