Désormais, tout va dépendre des Managers !

20 Avr 2021 | Entreprises libérées

En cette phase de déconfinement progressif, pour retrouver les dynamiques de l’engagement après la pandémie, les entreprises vont devoir penser à se mettre en position d’écoute, à prévoir des dispositifs collectifs de feedback, à stabiliser leurs objectifs et à affirmer leur utilité sociétale. Les managers, notamment de proximité, seront des relais indispensables.

Face à l’exceptionnel engagement du personnel soignant, l’enquête Worklife/Harris Interactive sur le travail à l’heure de la pandémie de Covid-19détonne. Les résultats montrent que l’engagement des salariés a été fortement impacté en début de crise : avec l’indicateur global d’engagement a reculé de 67 % à 56 %. « Cette baisse est plus particulièrement marquée en France, avec notamment un recul de 16 points de la motivation, l’un des marqueurs majeurs de l’engagement », notent les auteurs de l’étude.

Du reste, tous les indicateurs sont en berne. Les salariés se déclarent notamment moins satisfaits de leur emploi (-18 points) et de leur employeur (-10 points) et moins motivés pour « faire de son mieux » (-12 points). Ils recommanderaient moins leur employeur (-11 points) – dont ils sont, d’ailleurs, moins satisfaits (-10 points) – et se disent moins fiers de leur travail (-10 points). Pour un peu, une implication à -6 points dans la réussite de leur entreprise pourrait passer pour une bonne nouvelle !

La situation est suffisamment inédite et complexe pour que ces indications ne puissent encore être jugées comme des tendances lourdes. Quoi qu’il en soit, l’engagement des salariés est considéré comme un levier de la mise en oeuvre de la stratégie des entreprises. Et, au moment où ces dernières doivent relever des défis majeurs, elles doivent pouvoir compter sur leur collectif.

Les managers, et en particulier ceux de proximité, en sont les acteurs clés. Selon un sondage OpinionWay pour l’Observatoire de l’Engagement, réalisé en décembre dernier, 97 % d’entre eux estimaient qu’il était de leur responsabilité de développer l’engagement de leurs collaborateurs ; 89 % indiquaient prendre cette tâche très à coeur et la considéraient comme l’une de leurs responsabilités les plus importantes. De quoi déployer des initiatives sur-mesure les concernant, en même temps que les actions vers les salariés. L’inspiration reste essentiellement d’avant-crise.

Développer la capacité de gestion émotionnelle des managers

« Des sentiments d’injustice issus de la période du confinement, notamment par rapport à la protection sanitaire, ont démobilisé un certain nombre de salariés », indique Thierry Nadisic, professeur associé en comportement organisationnel à l’emlyon business school. Pour remédier à la situation, ce dernier propose d’écouter les retours d’expériences des salariés, et d’accueillir les propos négatifs. « La démarche produit de formidables résultats à condition que le manager ne se place pas en position hauteLa capacité de gestion émotionnelle du manager, qui ne doit pas se sentir remis en cause face aux critiques, est essentielle », explique-t-il.

Elle pourra être rapidement développée en observant un pair qui l’a acquise.« Pour éviter tout sentiment de frustration, et donc d’agressivité, de la part des salariés, il revient à l’entreprise de prendre en compte la singularité des parcours pour donner une légitimité à ce qui a été vécu », corrobore Adrien Chignard, psychologue du travail et fondateur du cabinet Sens & Cohérence. Partager les expériences vécues lors du confinement, revenir sur les innovations expérimentées au plus fort de la crise, lever les éventuels quiproquos, c’est déjà avancer vers le coach manager.

Former et impulser un état d’esprit de « manager coach »

Pour contribuer à l’engagement des salariés, des entreprises ont parfois fait le choix de dispositifs originaux pour faire de leurs managers de proximité des coachs. Outre son programme de formation spécial managers, le groupe FNAC Darty a, par exemple, mis en place un dispositif formel de feedback via une application. Les vendeurs s’y auto-évaluent, les managers de proximité y apportent des commentaires dans l’idée de développer une vision du manager coach, qui fait progresser sans déprécier.

Méthodes et critères d’évaluation annuels peuvent également être revus selon un référentiel manager coach, avec la volonté de sortir d’une stricte logique d’indicateurs de performance (KPI). Mais les fondamentaux doivent demeurer la confiance et la délégation.

S’équiper d’une plateforme collaborative de feedback

Un outil de sondage digital et anonyme permettant de consulter les collaborateurs sur des idées ou outils à développer peut s’avérer utile. Pour développer fierté d’appartenance et engagement au travail, FNAC Darty a, par exemple, lancé un système de sondage mensuel – trois questions avec retours anonymes via une plateforme (Supermood) – qui doit permettre de recueillir un feedback collectif, des équipes des magasins jusqu’au comité exécutif.

Pour se positionner comme un tiers de confiance, un tel outil doit garantir l’anonymisation des réponses, condition sine qua non pour faire remonter des données fiables. La formation des managers en amont garantira leur implication.

Fixer de nouveaux objectifs et surtout les expliquer

Afin de gérer l’urgence de la crise, nombreux sont les cadres dirigeants à avoir plongé, encore plus avant, la tête dans le guidon. « Le Covid a totalement changé nos horizons de temps : nos cycles stratégiques ‘à trois ans’ sont devenus au mieux trimestriels ; le ‘court terme’ est désormais à la semaine, voire au jour », témoignait, au plus fort de la crise, Cécile Cabanis, directrice générale finances, technologie & data, cycles et achats de Danone.

Des projets et dossiers ont en outre été suspendus, sans que les salariés qui en étaient chargés aient pu obtenir d’explication ou comprendre les décisions prises. Mais à l’heure de la reprise, envisager le court terme ne peut suffire. Pour embarquer les équipes, les managers doivent, à nouveau et malgré les incertitudes, fixer des objectifs de moyen terme, les partager avec chacun et les expliquer. La démarche est essentielle pour donner du sens, mais pas suffisante.

Offrir une vision large et beaucoup de sens

Depuis le début de la crise, les entreprises ont tenu à mettre du sens dans leurs actions. Chacun garde en tête les propos d’Alexandre Bompard remerciant les équipes de Carrefour. « Vous n’êtes plus seulement Carrefour ; vous êtes le service public de l’alimentation. Vous nourrissez les Français et vous rappelez à tous que notre rôle est un rôle vital, un rôle social, un rôle profondément humain », écrivait-il à leur attention dans une lettre rendue publique. Les grandes causes ne devraient malheureusement pas manquer dans un avenir proche et lointain. Et pour engager les salariés, les raisons d’être inconsistantes n’y suffiront pas. Alignées ou pas sur le coeur du métier de l’entreprise, des initiatives comme Danone Communities ou Stop Hunger de Sodexo permettent aux salariés d’apporter leur pierre à l’édifice. D’autres entreprises peuvent les autoriser à consacrer quelques journées par an à des engagements sociétaux.

A l’échelle plus resserrée du terrain et des opérations, il reviendra aux managers de donner du sens à la période passée avec un double objectif : retrouver une cohésion d’équipe et renouer avec la performance. Plus que jamais, le manager doit, selon les mots d’Adrien Chignard, devenir un « sense maker ».

Article publié le 25 mai 2020 par Valerie Landrieu, Vincent Bouquet (photo iStock)

https://www.lesechos.fr/idees-debats/leadership-management/et-maintenant-tout-va-dependre-des-managers-1244447